Dans les sciences du social, le « terrain » du chercheur se construit par ses démarches, ses choix de méthode et pratiques d'investigation en amont et en aval par l'écriture. Dans ces conditions, que signifie « changer de terrain », selon quelle logique ? Croisant la socio-histoire du football attentive aux contextes et aux acteurs et la sociologie de la littérature, la communication propose les premiers résultats d'une enquête sur un nouveau sujet, encore inexploré en sociologie, à savoir les effets croisés d'une biographie sociologique et du contexte de l'Italie des années 1950-1970 sur le rapport au football de Pier Paolo Pasolini.

Ecrivain, poète, journaliste, dramaturge, scénariste et réalisateur italien né en 1922 et assassiné en 1975, Pasolini est non seulement le premier intellectuel européen à écrire sur les compétitions de football pour des quotidiens italiens, mais il pratique également ce sport dans les faubourgs (borgate) de Rome. Dans l'Europe du milieu du XXème siècle, à l'exception d'Albert Camus, les élites intellectuelles revendiquent très rarement jouer au football et, en tout état de cause, dans les banlieues. Comment expliquer que l'un des plus grands artistes italiens du XX siècle, anticonformiste, antifasciste, opposé à l'ordre dominant (la bourgeoisie), proche du PCI mais profondément catholique, joue au football, écrive sur ce sport et fréquente les tribunes des stades au côté du peuple ? Source de dispositions acquises sous la forme de structures mentales, de schèmes de perception et de plis corporels (hexis), sa socialisation progressive (de la prime enfance à l'âge adulte), marquée tant par une problématique existentielle et sexuelle que par le contexte sociopolitique italien des années 1950-1970, crée les conditions de son intérêt pour le corps des footballeurs et des tifosi. Dès lors, la trajectoire de Pasolini est l'illustration d'une série de tensions : entre une société italienne marquée par le « miracle économique » et des institutions archaïques, entre l'écrivain catholique et l'auteur de films opposé à l'ordre dominant, entre l'intellectuel de gauche et sa passion pour le football (sport populaire rejeté par la classe dominante), entre l'auteur d'une oeuvre majeure en italien classique et l'écrivain publiant en dialecte populaire et régional.

A partir d'une enquête de terrain alliant sources littéraires, archives de presse, ethnographie des lieux de pratique du football de Pasolini, la communication propose une plongée dans les contradictions de l'Italie de la 2ème moitié du XXème siècle et dans le rapport de la société italienne au football.