Cela fait 25 ans que l'esport repousse les frontières des sports, nous disent ses promoteurs. « L'esport est-il un sport ? » se demandent alors médias, sportifs et public. Ce débat traduit une question théorique connue, mais toujours actuelle : comment une pratique devient-elle sport ? Qu'il s'agisse des défenseurs ou des détracteurs de l'esport, leurs discours s'en réfèrent à des conceptions du sport et de ses frontières qu'il ne semble plus possible de questionner : le sport est associé à la santé et à l'activité physique (DeFrance, El Boujjoufi, Hoiban, 2021), aux organisations fédérales ou olympiques et à la passion amateur (Fleuriel, Schotté, 2008). Or, le rappelle de ces caractéristiques s'accompagne généralement d'une perte d'analyse de la question sportive. On le voit notamment dans les études sur l'esport qui se cantonnent aux définitions évidentes des sports pour les comparer les jeux vidéo.

Cette communication propose d'interroger à nouveaux frais la question sportive, en se donnant pour tâche d'en faire un « calme examen » (Quéré, 2002). Distant des discours enchanteurs et typiques sur l'innovation numérique (Martin, Dagiral, 2021), ce travail prend le parti de placer au coeur de l'analyse l'ordinaire des sports électroniques. Qu'en est-il du sport dans les activités où la frontière semble s'amoindrir ? Prenant appui sur un travail de thèse - une ethnographie des compétitions de jeux vidéo (observations participantes ; photographies) et de ses acteurs (entretiens, observations de meeting) - les résultats de cette enquête mettent en évidence les transformations conceptuelles du sport dans un contexte où le numérique s'impose au quotidien.

Dans un premier temps, seront analysé les logiques de la production du spectacle sportif au travers de la description des tournois amateurs et professionnels. Cette description permet de distinguer trois aspects du travail sportif : organisation, intermédiation et performance (Demazière, Olh, Le Noé, 2015). Dans un second temps, il s'agira d'analyser les logiques de la légitimité croissante des sports électroniques, notamment quand elles sont discutés en vue de collaborer avec les acteurs du sport. Ces éléments invitent alors à analyser les transformations conceptuelles du sport au travers de la production du spectacle sportif (Ville, 2022). C'est par ce prisme que l'on comprend la légitimité croissante de l'esport : un « sport moyen », où les dimensions spectaculaires sont loués et servent de levier à sa professionnalisation et sa marchandisation, sans pour autant coller à l'idéal des valeurs sportives et physiques.