A l'heure où les avantages des enquêtes quantitatives en ligne sont largement reconnus : gain de temps, d'argent, accès direct aux groupes d'individus, information sur les non-réponses etc. (Frippat et Marquis, 2010) et où les solutions informatiques de diffusion en ligne sont nombreuses, il peut paraître étonnant d'opter pour une “non-innovation” méthodologique : la passation en face-à-face par le biais d'un questionnaire papier auto-administré.
Cette méthode est pourtant une des plus appropriées pour obtenir un taux de réponse élevé, pour s'assurer que le profil des répondant·es correspond à la population que l'on souhaite enquêter ou encore afin d'interroger sur le vif les représentations d'un objet d'étude. Par ailleurs, si l'enquête par questionnaires reste une méthode quantitative, la passation directe offre à l'enquêteur·rice un éclairage ethnographique non négligeable. Elle permet de solliciter et d'observer les répondant·es dans un environnement spécifique en impliquant pour ces dernier·ères un temps de réflexion, voire de réflexivité sur la pratique questionnée. Pour l'enquêteur·rice, cette méthode permet aussi d'objectiver les conditions de passation qui influencent largement les matériaux d'enquête (présence d'un tiers, conditions d'installations, proximité sociale avec l'enquêteur·rice) et qui ne sont toutefois pas systématiquement prises en compte dans l'analyse des données (Caveng, 2012).
Nous nous intéresserons aux conditions de passation en milieu récréatif et festif qui représentent aussi bien des opportunités (répondant·es plus réceptif·ves dans un contexte de loisir, participation active induite par l'auto-passation) que des contraintes (intrusion dans des temps familiaux ou amicaux, météo, taux d'alcoolémie, dissonance entre cadre festif/loisir et le “sérieux” du questionnaire).
Notre démonstration s'appuie sur deux enquêtes quantitatives réalisées dans le cadre de recherches doctorales (Gruas, 2021 et Gontier, 2020). Malgré d'importantes différences dans les sujets traités (pratique des sports de montagne dans le nord des Alpes et fêtes du patrimoine maritime en Bretagne), le rapprochement de ces deux expériences de passation en face-à-face ayant lieu sur les terrains d'enquête, met en exergue de nombreux questionnements épistémologiques quant au choix de cette méthode. Nous nous attarderons particulièrement sur l'échantillonnage et la représentativité, le refus de réponse, et la gestion des situations conflictuelles afin d'illustrer la nécessité d'adaptation pour l'enquêteur·rice dans une situation de sollicitation des répondant·es parfois inconfortable. Nous espérons ainsi mettre en visibilité les “bricolages méthodologiques” auxquels peuvent avoir recours les chercheur·ses en terrain récréatif et/ou festif, tout en participant “à la compréhension du cadre d'interaction enquêteur-enquêté” (Daniel, 2013).