Dans leurs relations au champ sportif, les loisirs de pleine nature occupent une position originale. Ils rassemblent une majorité de pratiquants du « second cycle de vie sportive » peu intéressée par les compétitions fédérales. Ce secteur fait preuve d'une dynamique d'innovations techniques avec l'émergence d'activités nouvelles par invention ou par hybridation de modalités déjà existantes (Pociello, 1999). Pour comprendre les logiques sociales à l'œuvre dans ce domaine particulier des usages du temps libre, la « sociologie des pratiques culturelles » a servi de modèle d'analyse privilégié. La référence aux « stratégies de distinction sociale » s'est imposée, dans les années 1980 (Bourdieu, 1979, Cousin, Réau, 2006). Ces pratiques participaient à la construction de « l'espace du style de vie », en fonction des habitus et des rapports au corps construits dès l'enfance. Dernièrement, certains théoriciens post-modernistes ont contesté de manière radicale ce cadre théorique. L'entrée des sociétés développées dans l'ère de l'information et de la mondialisation aurait conduit à une « érosion programmée du pouvoir distinctif des loisirs et de la culture » (Coulangeon, 2011). Les modes de socialisation auraient été bouleversés pour conduire à une construction des identités sociales guidées par le libre choix des individus, au gré des rencontres et des opportunités (Harvey, 1989, Slater, 1997). Une certaine lecture de « l'omnivorie culturelle » viendrait illustrer l'indétermination des styles de vie qui prévaudrait désormais, caractérisée par l'éclectisme des consommations culturelles de masse (Peterson, 2004, Viard, 2004). Ces discours, prétendant identifier la « dernière rupture majeure », se situent souvent en proximité avec les sphères du marketing et des cabinets de consultants. Au-delà de l'adoption d'une catégorisation vouée à l'inflation des superlatifs et le recours systématique aux anglicismes, ces interprétations suscitent néanmoins quelques interrogations.
Dans une démarche de sociologie historique, cette communication se propose de revenir sur les vertus heuristiques de l'analyse des loisirs de pleine nature pour discuter du processus de construction de « l'espace des styles de vie » et de ses véritables « métamorphoses ». Elle s'appuie sur des enquêtes empiriques réalisées depuis le début du XXe siècle (Casella , 1910) aux années 1970 (Bourdieu, 1979) jusqu'aux données les plus récentes issues d'enquêtes nationales ou sur des pratiques ciblées. Si les résultats obtenus prennent en compte les moments de « rupture » ils tendent à relativiser les analyses en terme de « bouleversements incessants ». Ils montrent au contraire le poids des permanences et la persistance des « logiques de distinction » au détriment d'une démocratisation des activités de nature.