La fréquentation massive des réseaux sociaux numériques ces dernières années a fait émerger la figure de l'influenceur, un leader normatif suivi par plusieurs milliers d'abonnés en ligne. Dans le cas des influenceurs fitness et beauté, ciblés par ce travail, ceux-ci publient des photos et vidéos en prodiguant des conseils en matière d'exercice physique, d'alimentation, de soins cosmétiques et vestimentaires. En incarnant une forme de « mieux-être » sanitaire et esthétique, ces entrepreneurs de la morale incarnent des modèles de gestion et de présentation du corps. S'inscrivant dans le cadre de la sociologie configurationnelle de Norbert Elias, il s'agit de comprendre comment les enquêtées gèrent leur exposition corporelle et esthétique.

Le corpus mobilisé est constitué de 4 influenceuses, des jeunes femmes âgées de 22 à 25 ans dont les communautés varient entre 10 000 et 180 000 abonnés au moment de l'enquête. Deux heures d'entretien semi-directifs ont été réalisés pour chaque enquêté dans une approche compréhensive. Cette première phase a été couplée à une analyse « netnographique » de leurs contenus en ligne. Ainsi, trois semaines de « stories » (publications éphémères) ont été récoltées et catégorisées. Pour chaque catégorie construite, une publication, jugée représentative de sa catégorie, a été sélectionnée par l'enquêteur puis discutée et justifiée par les enquêtées lors d'entretiens « d'auto-confrontation » à leurs propres publications (Theureau, 2010, 289).

Nous caractériserons dans un premier temps la teneur de ce prestige sur les réseaux sociaux qui tentent de le quantifier, sans toutefois annihiler sa dimension qualitative. Nous décrirons ensuite plusieurs stratégies et techniques mises en place par les influenceuses dans la mise en scène de leur corps : l'observation, la singularisation et la normalisation vis-à-vis des autres influenceuses, la valorisation de soi tout en dévoilant les coulisses de ses performances auprès de sa communauté d'abonnés. Dans un dernier temps, nous analyserons la manière dont le réseau d'interdépendances dans lequel sont prises les influenceuses avec les marques, leurs abonnés, leur agence, la plateforme numérique, mais aussi avec leurs homologues les soumet à un ensemble de contraintes (critiques, volatilité des abonnés...), qui font de l'entretien du prestige un art délicat. Loin d'une diffusion unilatérale des normes de beauté qu'elles tentent et espèrent incarner, l'étude montre que les influenceuses sont soumises à des contraintes normatives fortes, pour conserver leur prestige.