Cette communication émane d'un travail doctoral sur les processus de transformation des parcours de vie de personnes ayant des in/capacités physiques, à partir d'une ethnographie du powerchair hockey en Suisse. Il s'agissait, au niveau synchronique, de prendre la mesure d'une pluralité d'instances socialisantes - notamment sportives - à un moment donné de la vie de l'individu, et au niveau diachronique, de comprendre l'articulation temporelle des socialisations au travers desquelles l'individu est tout autant formé que transformé.
Rendre compte de la dialectique entre la continuité et le changement était donc au centre de cette recherche. Or, les outils d'analyse des tenant·es des études qualitatives sur les parcours de vie se sont avérés insuffisants pour rendre compte de ces dynamiques en le replaçant dans leurs contextes interactionnels, sociaux et temporels. J'ai alors élaboré un nouvel outil d'analyse, complémentaire à ceux déjà existants, que je propose ici de discuter.
Cet outil consiste en une modélisation au cas par cas de la dimension objectivable du parcours de vie, qui peut être rapprochée de ce que Becker entend par la "dimension objective de la carrière". Tout d'abord, les différentes situations objectivables vécues par l'interviewé·e ont été rassemblées selon différentes trajectoires biographiques. J'ai classiquement représenté la succession chronologique des événements biographiques dans chaque sphère de vie en trajectoires, pour former un schéma du "parcours de vie objectivé" de l'interviewé·e. Cette modélisation permet d'identifier la manière dont les changements et les continuités s'organisent diachroniquement au cours de la vie. Néanmoins, une limite importante est qu'elle ne permet pas de voir les réseaux interactionnels de l'interviewé·e, ni ses mondes sociaux d'appartenance.
J'ai donc élaboré une autre modélisation, complémentaire à la première. Ainsi, j'ai réalisé, pour chaque année de vie de l'interviewé·e, un plan de coupe nommé "tranche de vie". Cette modélisation situe l'individu dans l'espace et dans des réseaux interactionnels. Chaque "tranche de vie" donne graphiquement à voir la dimension synchronique de la vie, son tissu, sa substance. Elle permet de surmonter un écueil possible de la méthodologie des récits de vie qui consiste à accorder une trop grande importance aux événements et épiphénomènes qui jalonnent les parcours de vie. Elle permet aussi de rendre compte des déplacements spatiaux et sociaux au cours du temps. Il est alors possible d'observer la complexification et/ou le délitement des réseaux d'interdépendances, des sphères de vie et des mondes sociaux d'inscription au cours de la vie.