En février 2017, sur les quais d'un yacht club en Californie, je débute une enquête sur les rapports sociaux de sexe et de classe dans la pratique scolaire du surf et de la voile légère en France et en Californie. Cette enquête regroupe des observations participantes sur et dans l'eau parmi les pratiquant·e·s et leurs enseignant·e·s (200 heures), ainsi que des entretiens ethnographiques avec les jeunes navigateur·trice·s (fin collège), surfeur·euse·s (début lycée), leurs parents et leurs coachs/enseignants d'EPS (80 entretiens). Tout au long de cette enquête, j'avais à cœur de démontrer mon appartenance au monde marin. Lorsque les démonstrations de mes capacités sont réussies, je sens que ma position s'en trouve renforcée. La confiance s'établit, les langues se délient. Cependant, j'ai conscience qu'en tant que femme, cette légitimité acquise est fragile. Et lorsque celle-ci est mise en péril, l'enquêtrice disparaît pour laisser place à une pratiquante acharnée et prête à tout pour se maintenir légitime dans ces univers marqués par la domination masculine. En effet, dans ces pratiques sportives dominées par des valeurs masculines, l'entrée d'une chercheuse et pratiquante ne constitue pas un élément neutre. Pour obtenir une place légitime parmi les pratiquants des sports nautiques, les femmes n'ont d'autres choix que de faire preuve de patience, de persévérance et de mettre en place des stratégies spécifiques pour se construire progressivement un capital, un « beach cred » (Wheaton, 2000) leur permettant de se hisser et de se distinguer dans la hiérarchie de cet espace social. Dès lors, pendant l'enquête ethnographique, ces moments de péril de ma légitimité et de sa mise à l'épreuve par les enquêtés ont agi comme des déclencheurs d'abord interprétés comme des « sorties d'enquête ». Mes dispositions sociales incorporées lors d'une longue socialisation aux sports nautiques m'ayant permise de me hisser et de me maintenir dans la hiérarchie de ces espaces de pratique s'activent avec intensité : la préservation de mon beach cred est ma priorité. Le récit de ces « sorties d'enquête » constitue en réalité un ensemble d'expériences corporelles intenses de l'ethnographe. Des « prises par corps » renseignant en réalité sur la force de l'incorporation de ces dispositions et leur fonctionnement chez toutes les pratiquantes de surf et de voile lorsqu'elles sont confrontées à des crises de légitimité.