L'ultra-trail est une pratique sportive d' "extrême énergétique" (Bessy, 2005) relativement ancienne mais dont la croissance actuelle contribue à renouveler le paysage des courses en "nature". L'alimentation représentant un enjeu fonctionnel et symbolique cardinal (Routier et al., 2022), elle constitue un marché de niche profitable dont se saisissent de nombreux acteurs industriels pour concevoir et commercialiser des (pseudo)nouveautés d'équipements alimentaires et de produits diététiques sportifs. Mais comment ces offres sont-elles saisies par des ultra-traileurs au premier regard technophiles ?

La sociologie des usages a largement renseigné la capacité de "prise" des utilisateurs sur leur environnement matériel. Depuis les travaux de Von Hippel (2005) sur l'innovation par les usagers, l'accent a été mis sur les capacités expertes des "lead users" (y compris sportifs) pour inventer des solutions répondant à des besoins non satisfaits par ailleurs. Décalant l'attention vers les utilisateurs "ordinaires" et en référence aux travaux d'Akrich (1998), cette proposition de communication ambitionne de montrer en quoi les consommateurs sportifs ordinaires sont éminemment actifs dans la redéfinition, l'appropriation voire le détachement d'innovations sportives apparemment établies. Méthodologiquement, cette étude s'appuie sur un matériau qualitatif issu d'une enquête de terrain combinant entretiens semi-directifs de coureurs (n=30), observations ethnographiques (sur quatre ultra-trails) et recueil documentaire (presse, blog, forum).

Dans un premier temps, nous décrirons les types d'interventions sociotechniques que les ultra-traileurs opèrent sur les "innovations" portées par les industriels du marché : déplacement (exploration d'usages imprévus sans modification du dispositif), adaptation (adaptation d'un produit aux caractéristiques du sportif) voire extension (ajout d'éléments fonctionnels). Dans un second temps, nous montrerons que la relation pratique et symbolique aux nouveautés évolue avec l'expérience acquise en course, les ultra-traileurs expérimentés opérant un détachement partiel des produits les plus sophistiqués, au bénéfice d'un retour vers des équipements et surtout des aliments plus "simples" et "naturels". Cette résistance relative, proche de la "novation" (Cañibano et al., 2017), soulignera la rationalité à l'œuvre de la non-adhésion des utilisateurs à l'innovation. En définitive, il s'agira de montrer que les sportifs disposent de nombreuses capacités innovatives dans leurs rapports aux nouveautés, y compris dans leurs activités de détournement et de défiance.