Organisés pour la première fois le 10 décembre 1994, les championnats d'Europe de cross-country se distinguent de la plupart des autres compétitions continentales. Le contexte dans lequel ils sont créés, associé à l'historiographie de la discipline, les insère dans un processus d'innovation.
Selon une perspective socio-historique, l'étude se fonde sur l'analyse des discours de responsables fédéraux européens et africains, rapportés dans les revues Athlétisme, organe de presse officiel de la Fédération Française d'Athlétisme (FFA), et VO2 Magazine, revue de référence spécialisée dans l'athlétisme dans les années 1990-2000, ainsi que sur les archives des comptes rendus des fédérations française, européenne (AEA), et internationale (IAAF) d'athlétisme depuis 1960. Articulant la rigidité des archives institutionnelles avec le discours plus incarné des responsables fédéraux dans les médias, ces données révèlent que cette échéance répond au besoin de redynamiser le cross-country en Europe suite à la démobilisation des athlètes européens des championnats du monde de la discipline, alors largement dominés par les athlètes est-africains. Non sans critique, l'AEA décide de créer une compétition réservée aux athlètes européens, leur permettant de s'illustrer et de gagner en visibilité dans un contexte de professionnalisation croissante, pour mieux repartir de l'avant aux championnats du monde qui demeurent la compétition de référence. Bien que du point de vue des acteurs européens la mise en œuvre des championnats d'Europe de cross-country réponde à un besoin de reconnaissance socio-économique, cette compétition ne peut être qualifiée d'innovation sociale au regard de l'ambivalence qui l'accompagne. D'une part, elle va à l'encontre du désir de la fédération internationale d'athlétisme d'universaliser le cross-country en l'ouvrant à l'ensemble du monde après qu'il ne soit essentiellement resté confiné à une partie de l'Europe pendant plus d'un demi-siècle. D'autre part, le succès de l'appropriation dont ils font l'objet amène ces championnats d'Europe à devenir un objectif à part entière pour les athlètes et les fédérations, parmi lesquelles l'IAAF qui poursuit le processus d'éviction en choisissant de réduire la fréquence des championnats du monde, au-delà du projet de relance initialement envisagé. Si l'innovation de retrait se fonde sur le détachement d'éléments jugés inutiles, y compris parfois humains, l'innovation étudiée repose davantage sur l'éviction de l'élite mondiale de la course de fond que les athlètes européens n'ambitionnent rapidement plus de concurrencer, perdant dès lors toute perspective de progrès. Revêtant un caractère dynamique depuis sa mise en œuvre, cette compétition continentale amène finalement à nuancer la perspective vertueuse souvent associée à l'innovation.