Revendiquer l'innovation dans le champ concurrentiel de la culture physique : analyse des techniques argumentaires mobilisées par trois concepteurs de « nouvelles » méthodes de musculation
Matthieu Quidu  1@  , Matthieu Delalandre  2@  , Brice Favier-Ambrosini  3@  
1 : Laboratoire sur les Vulnérabilités et l'Innovation dans le Sport (L-ViS)
Université Claude Bernard Lyon 1
2 : Université Gustave Eiffel
Laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs
3 : Université du Québec à Chicoutimi

Au sein du champ concurrentiel de la culture physique (Travaillot, 1998), innover ou plus exactement prétendre innover constitue un impératif central auquel est soumis tout concepteur d'une « nouvelle » méthode d'entraînement. Afin de convaincre les pratiquants de s'y engager, il convient de les persuader, non seulement du bien-fondé du programme, mais aussi de sa radicalité, de son originalité et de sa supériorité. Pour ce faire, les auteurs vont convoquer, dans leurs ouvrages respectifs, des techniques argumentaires visant non seulement à « faire comprendre » le caractère innovant de leur démarche, mais incitant également à y « adhérer » et à « agir » en conformité avec les préceptes édictés. Nous nous appuierons sur le cadre de sociologie cognitive fourni par Bouvier (1996). Afin d'étudier le discours de revendication de l'innovation au sein de l'espace des méthodes de musculation, nous en avons retenues trois : la Méthode Lafay (produite par Olivier Lafay), l'école de force StrongFirst (conçue par Pavel Tsatsouline) et le CrossFit (fondé par Greg Glassman). Ces programmes peuvent être considérés comme significatifs au sein du champ, notamment du fait de leur large diffusion et de leur durabilité élevée. Ces programmes ont également la particularité d'être diversifiés, en ce qu'ils promeuvent des axiologies, des représentations du corps et des méthodologies d'entraînement fort contrastées. Au-delà de la variété même de leurs contenus respectifs, n'est-il pas possible d'identifier des techniques argumentaires homologues qui participeraient d'une même rhétorique de l'innovation ? À l'issue d'une analyse menée indépendamment par les trois co-auteurs, nous avons repéré plusieurs techniques de persuasion récurrentes : peut tout d'abord être mentionné un usage répété des marqueurs temporels (auparavant / désormais) permettant d'exacerber les antagonismes (moi versus eux), aussi bien vis-à-vis des concurrents contemporains que des prédécesseurs. Ceux-ci sont le plus souvent homogénéisés au sein d'une catégorie englobante fortement dépréciée. Suivre les programmes concurrents exposerait nécessairement à la catastrophe tandis que l'adhésion à l'innovation se trouve systématiquement accolée à des promesses de réussite. Enfin, une forte immunisation défensive se dégage du corpus, les auteurs ne concédant que très rarement certaines limites à leurs propositions. Semble au final se dégager un discours de revendication de l'innovation hautement partagé. Nous émettons une hypothèse supplémentaire suivant laquelle il existerait une rhétorique de l'innovation transversale à de nombreux domaines sociaux d'activité (recherche scientifique et technologie high tech) au sein desquels se positionner comme innovants par un effet de radicalité constitue la condition sine qua non de l'existence et de la reconnaissance dans le champ.


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