Les avancées en matière d'égalité femmes-hommes dans le monde sportif, à l'image de l'entrée des boxeuses au programme olympique en 2012 ou des brillantes performances des surfeuses sur les vagues XXL (Schmitt & Bohuon, 2021), pourraient laisser penser que cette progression est régulière, linéaire et irréversible. Toutefois, il nous semble essentiel de ralentir dans l'analyse de ces brèches que conquièrent les sportives, montrant la nécessité de lutter sans cesse face à la bi-catégorisation sexuée et à hiérarchisation associée, qui se reconfigurent constamment.
Pour ce faire, nous allons nous focaliser sur des activités à fort « engagement corporel » (Routier & Soulé, 2012), en considérant un analyseur spécifique, les blessures graves au visage (lacérations faciales, oreilles en chou-fleur, nez cassés). Alors que ces stigmates peuvent être valorisés pour les sportifs en tant que signes d'appartenance à une communauté d'élite (Nixon, 1996), les visages tuméfiés voire défigurés des femmes dérangent et inquiètent, aussi bien les dirigeants, les médias que les athlètes elles-mêmes. Deux illustrations de nature distincte permettent de saisir l'ampleur des enjeux associés à la préservation des femmes vis-à-vis des lésions faciales sérieuses. Tout d'abord, peut être évoqué l'accident impliquant en 2011 la surfeuse Keala Kennelly qui a subi une impressionnante lacération au visage sur la vague de Teahupoo. Sa blessure a renforcé les arguments en faveur de la fermeture du spot aux femmes, effective jusqu'en 2022. Ensuite, d'un point de vue réglementaire, mentionnons le cas de la boxe anglaise où les hommes ont été autorisés à concourir sans casque à Rio en 2016 tandis que les femmes étaient contraintes de le conserver. La mise à distance des atteintes graves au visage constitue un avatar contemporain d'une injonction paradoxale auxquelles sont historiquement soumises les sportives (Bohuon, 2012) : devenir performantes, y compris dans des activités engagées, mais sans jamais cesser d'appartenir à la catégorie des « vraies femmes ». S'exposer sans protection à une blessure au visage demeurerait ainsi un privilège masculin. Cependant, contre l'injonction à la modération, l'acceptation par une sportive de la possibilité d'une atteinte grave au visage ne revêtirait-elle pas la signification d'une conquête, celle de l'« autonomie corporelle » (Froidevaux-Metterie, 2021) ?
Au travers d'une enquête menée auprès de sportives investies dans des disciplines « exposées » (surf de grosses vagues, rugby ou sports de combat), nous montrons que celles-ci manifestent des degrés variables de tolérance vis-à-vis du tabou des atteintes faciales et développent à leur égard des pratiques subversives dans « l'ordre du genre » (Butler, 1990).