Aux côtés de la massification et de la diversification, la féminisation et la digitalisation marquent l'évolution récente de la course à pied (CAP) (Vignal et al., 2022). Cette communication aborde conjointement les deux derniers aspects, à travers les appropriations du self tracking par les pratiquantes de la CAP, à ce jour peu étudiées (Esmonde, 2019), au contraire des usages masculins des applications et objets connectés (OC) (Dagiral et al., 2019). 

Dans un premier temps, la sociologie des attentes (Borup et al., 2006) est mobilisée pour identifier les promesses de ces dispositifs numériques : fonctionnalités a priori désirables tournant autour de l'objectivation des performances, de l'émulation communautaire ou de la gamification (Soulé, 2021). A cet égard, courir connectée s'apparente à une forme de normativité. Toutefois, l'intensité de ces projections présente un risque de décalage avec les usages effectifs.

Au sein de la sociologie de l'innovation, les concepts d'adoptation (Gaglio, 2011) et d'appropriation des dispositifs (incluant les usages sélectifs, les résistances et non-usages) sont mobilisés pour cerner l'adoption à l'œuvre. A partir de matériaux issus d'une méthodologie mixte, nous avons cherché à mettre en évidence les modalités d'appropriation et les usages de ces applications et OC par les pratiquantes ordinaires de la CAP.

Ces dernières trouvent dans les dispositifs numériques un tiers motivationnel constitutif d'encouragements et de repères objectifs pour se dépenser, voire se dépasser (courir plus longtemps, plus vite, plus souvent). La plupart des utilisatrices font un usage relativement trivial des mesures (temps et distances) et sont moins nombreuses que les hommes à investir les fonctionnalités d'analyse avancée des data (dénivelé, fréquence cardiaque, etc.). Les mesures en temps réel dominent, là où les hommes privilégient plus volontiers l'enregistrement et l'étude a posteriori des données, ainsi que le partage en ligne et la comparaison sociale.

Ces résultats posent la question de la prise en compte des besoins et usages des pratiquantes ordinaires de la CAP, et de leur traduction dans les dispositifs numériques. Les modalités féminines de pratique, et notamment les usages de rassurance des dispositifs connectés, ne semblent pas disposer de porte-paroles au sein des réseaux sociotechniques d'innovation.