Le rugby français jouit dans les années 2000 d'une exposition médiatique croissante, liée à sa professionnalisation (1995) et à l'engouement suscité par la Coupe du Monde 2007 (Diana, 2010). On assiste simultanément à un remodelage de la figure du joueur, induit par les programmes d'entraînement (Dalgalarrondo, 2015) ainsi que par les médias et annonceurs, qui est à l'origine d'une redéfinition du modèle de masculinité hégémonique culturellement associé à ce sport (Dunning et Sheard, 1979 ; Saouter, 2000). En témoignent les Calendriers des Dieux du Stade qui popularisent une représentation à la fois héroïque et érotique du joueur, destinée à séduire un public diversifié (Saouter, 2007).
Dans ce contexte, la médiatisation aussi massive qu'inattendue de Sébastien Chabal, symbolise l'expression la plus aboutie de ce processus de transformation de l'image du joueur mais aussi un retour à une masculinité plus brutale. Révélé juste avant la Coupe du Monde 2007, ce tourneur-fraiseur de formation est ainsi présenté par les médias comme le parangon moderne du rugbyman authentique, en réaction aux joueurs qui auraient succombé aux artifices du star system. Mais au fur et à mesure que la popularité de Chabal grimpe, son image est à son tour soumise aux lois du marketing publicitaire : ceux-là mêmes qui mettaient en avant sa férocité primitive le montrent progressivement dans des situations plus ambigües, allant jusqu'à le travestir.
À partir d'une analyse de contenu menée sur un corpus de 50 publicités de presse écrite ou numérique et de 36 spots télévisuels (2008 et 2019), nous montrons que le succès du joueur auprès des annonceurs s'est construit sur la coexistence de deux registres de représentations antagonistes : l'un emblématique de la masculinité hégémonique (la bête) ; l'autre produisant au contraire un effet contre-hégémonique par l'incorporation d'attributs de masculinités alternatives « métrosexuelles », voire « drag » ou « trans », dans le cadre de mises en scène tantôt crédibles (la « belle », ex : Depiltech, Urgo), tantôt caricaturales et burlesques (ex : soubrette des hôtels Marriott). Nous appréhendons ces « innovations de genre » comme relevant de logiques d'hybridation de la masculinité (Demetriou, 2001 ; Messner, 2007 ; Bridges et Pascoe, 2014) qui ont pour effet d'adoucir le modèle hégémonique (Connell, 1987, 1995 ; Connell et Messerschmidt, 2005 ; Messerschmidt, 2018) qu'incarnait jusqu'alors le joueur, lui permettant ainsi de conserver son attractivité auprès du grand public et des annonceurs dans un contexte sociétal de rééquilibrage des rapports de sexe.