Penser sociologiquement l'innovation esthétique. Le cas de la danse contemporaine
Pierre Emmanuel Sorignet  1, *@  
1 : Université de Lausanne = University of Lausanne
* : Auteur correspondant

Comme le souligne J.-C. Chamboredon : « Les transformations esthétiques ouvrent à la sociologie la possibilité d'une analyse des formes, à condition de reconnaître le système des conventions d'expression propres à chaque genre et qui, préexistant aux intentions expressives, définit la configuration des possibles esthétiques où elles peuvent s'affirmer » (Chamboredon, 1986). Ainsi la transformation des modes et des supports d'expression dans l'art contemporain a induit de nouvelles façons d'exposer et influé directement sur la prime accordée aux formes d'expression les plus conceptuelles au détriment des formes plus expérimentales (Heinich, 2014). De même, l'éloignement progressif du public plonge la fraction la plus institutionnelle du théâtre dans une profonde contradiction (Noiriel, 2009) : le théâtre et la danse subventionnés résolvent ce paradoxe par la défense d'une politique de subversion par la forme (un théâtre « intrinsèquement » politique), qui va devenir un critère essentiel de la reconnaissance artistique au sein du champ. Le champ du spectacle est traditionnellement découpé en trois parcelles bien identifiées, la danse, le théâtre et la musique. On s'intéressera ici plus particulièrement à l'art chorégraphique et sa fraction la plus contemporaine. Je partirais de l'hypothèse (informée par des enquêtes préalables (Sorignet 2009, 2014) que les formes contemporaines du spectacle chorégraphique privilégient l'interdisciplinarité et que les logiques de métier propres au monde de la danse sont en voie de dilution dans les espaces les plus légitimes de la culture contemporaine où l'art de la « performance » transgressant les frontières disciplinaires traditionnelles semble s'imposer. La notion de pluridisciplinarité semble être identifiée comme propice à l'innovation, voire comme permettant l'abolition de frontière qui empêcheraient le talent d'éclore. Surtout, cette tendance oblige à décloisonner des mondes, en apparence autonome car rapportés à une discipline et une technique du corps (la danse, le théâtre, la musique, le cirque), pour saisir les jeux de différenciations, essentielles au processus de reconnaissance par les pairs et les « agents de la consécration »1 que sont les programmateurs et les subventionneurs. Ainsi tant dans le processus de production de l'œuvre que dans celui de son identification et sa diffusion, considérer la pluridisciplinarité des disciplines, l'importation de techniques de corps diversifiées, comme la formulation d'un programme esthétique permet d'orienter le regard vers les stratégies de captation ou de gestion du capital symbolique des différents agents qui composent le champ du spectacle vivant.


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